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Lettres, courbes et traits; instants d'ailleurs et rêves de demain...
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  • Je me complais dans les mots, dans les phrases, les traits, un crayon, une surface, et j'oublie tout. Le temps d'un dessin ou d'une histoire, et la seule chose qui m'importe c'est de gommer, raturer, réussir à exprimer ce que je vis.
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16 mai 2010

Pas à pas

C'est un texte que j'ai écris dans le cadre d'un concours qui s'appelle "Achève moi et sois publié" du journal Le Soir.  Savourez ^^

Pas à pas

Si on t'avait dit qu'un jour, tu marcherais à pied, le long de la route, avec un jerrycan d'essence au bout du bras, tu ne l'aurais pas cru. Pas sur la nationale qui passe derrière chez toi, pas à cinq minutes à pied de ta villa. On tombe en panne au bout du monde, au coin d'un bois, au bord d'une falaise, aux portes du désert, pas dans l'allée de son garage, entre le portillon électrique et la boîte aux lettres. Pourtant, cette nuit, tu marches et tu sais que la station-service la plus proche est à douze kilomètres. Une fameuse distance, à tailler dans le noir, guidé par la peinture blanche au bord de la route, la silhouette des poteaux parfois et la lumière aveuglante des phares, de temps à autres.

Les voitures te dépassent sans s'arrêter.

Un homme seul au bord de la route, ça fait peur. On appuie sur la pédale, le moteur gronde et toi, toujours silencieux, tu vois les feux rouges s'éloigner, rapetisser puis disparaître. Tu marches sans tourner la tête et cette solitude te fait un bien fou. Même si le bidon de plastique pèse dans ta main, même si le bruit de l'essence secouée flique et floque au rythme de tes pas, tu savoures le calme de cette route de nuit.

Tu te demandes d'ailleurs pourquoi tu marches si rarement, pourquoi, comme tous les autres, tu t'assieds derrière ton volant pour le moindre déplacement. Sans doute parce qu'on a toujours payé ta voiture, ton essence, ton assurance. Parce que tu travaillais pour une des plus grosses compagnies pétrolières aussi. Tu roulais en quatre-quatre comme tu portais la cravate, le costume trois pièces et les valises pleines de billets pour graisser les rouages des administrations un peu poussiéreuses. Tu en as vu, du paysage : des pays sans touristes en Asie du Sud-Est, des coins reculés en Afrique et des anciennes républiques soviétiques, dont tu n'as pas même retenu les noms; tous ces paysages, tu les as regardés de haut tandis que ton jet atterrissait, puis défiler derrière les vitres teintées des voitures de fonction, avec chauffeur et air conditionné, tu avais de la chance, c'est ce que tout le monde disait autour de toi, un boulot bien payé, qui te faisait voyager, un employeur royal, qui n'avait jamais hésité à récompenser ta fidélité : vacances au Vanuatu, aux îles Fidji, à la Barbade, tu aurais pu te lasser des îles et des mers vertes mais tu as profité de tout ça sans compter et tu n'as jamais imaginé que tout cela pourrait avoir une fin.

 

Alors tu t’es ramassé. De ton piédestal tu as glissé jusqu’à sombrer dans cet univers de néant ; et en mode accéléré histoire de ne t’épargner nuls affres de déchéance. Qui aurait pu penser que ta vie s’achèverait ici ? 42 ans, aucune descendance et une femme dont le lointain souvenir n’a véritablement jamais rimé avec sourire. Là, tu marches, tentant d’annihiler ta rancœur, de confesser tes peurs, d’oublier tous ces ports sans attaches, sans famille et finalement, dénués de tous vrais amis. Et la lourdeur de ce bidon, reflétant le poids de cette haine malsaine qui s’immisce dans chacun de tes atomes jusqu’à  te pourrir la moelle. Chaque pas te rapproche de quelque chose, tu sens que c’est bien plus que de ta voiture, que ta vie se résume à cela, pas à pas, avancer tout droit. Tu as toujours suivi une ligne de conduite, ici tu ne fais que suivre le tracé de la route, quelle différence ? Tu avances dans l’ignorance, espérant qu’au bout il y aura une solution qui mettra fin à tes réflexions, apaisera ta conscience et soulagera ton esprit de tout ce que tu as appris. Tu veux oublier, jusqu’à ton nom, ton identité, tes papiers et ta notoriété déjà passée.

 

Une automobiliste ralentit, se demandant qui est l’homme qui marche seul sur le bord de la route au milieu de la nuit. Tu fais un signe rapide, tout va bien, retournez à votre vie et laissez-moi croupir ici. Elle réaccélère, retourne à ses ennuis et galères. Qui sait ce qui l’attend demain, peut-être que son existence s’achèvera dans ses draps, alors qu’elle rêvera de promotions et de réaliser ses ambitions.

 

Tu comprends peu à peu que personne n’est libre, coincé dans ses obligations, les gens ont oublié jusqu’au véritable sens du mot liberté. Tu croyais l’être pourtant, voyageant au gré de tes envies, te laissant porter par le vent à l’autre bout du continent. Les mers bleues glissant sur les plages de sable blanc ne te faisaient ni chaud ni froid, tu passais ton chemin, bien caché derrière tes vitres fumées à l’abri des étrangers. Mais cette marche t’ouvre les yeux pour la première fois. Tu as l’impression de renaître. Une lumière aveuglante, tu vois plus clair, plus loin, tu sens le monde. L’odeur d’essence emplit tes narines, tu te gaves de ce parfum enivrant, tu laisses tes cellules s’envahir de cette effluve. Chaque parcelle de ton corps s’en abreuve. Te voici arrivé au bout de ta marche, tristement tu comprends que tu dois réprimer ton envie de poursuivre ton voyage. Ta berline t’attend bien sagement, comme un chien docile qui n’attend que ton ordre pour partir vers l’horizon.

 

C’est là que tu saisis. Un déclic immense. Une détonation au plus profond de ton être. Ton cerveau en ébullition a fondu sous la révélation. Tu savais, enfin, ce que tu devais accomplir. C’était un désir tapis au creux de ton esprit, tellement enfoui que tu ne soupçonnais même pas son existence. Comment avait-il pu rester refoulé toutes ces années ? Tu prends le bidon, le vide au tiers. Tu auras juste de quoi rouler jusqu’à là. Tu démarres, allume tes phares, le bidon sur le siège passager t’attirant irrésistiblement. L’excitation monte en toi, atteignant des niveaux de plaisirs que jamais tu n’avais cru possible. Même le sexe ne pouvait te procurer cette sensation exaltante. C’est sans doute pourquoi elle t’avait quitté. Tu manquais de passion, pour tout. Encore une heure et l’aube serait là, crachant sa lumière immonde, accordant naissance à un nouveau jour. Mais cette fois, tu ne le subirais pas. Tu allais faire ton propre choix, choisir ta voie et passer ce cap. Arrivé chez toi, tu saisis les quelques affaires qui te semblent utiles et les enfournes dans un sac miteux qui traînait près du tas de bois. Sur le seuil, tu te retournes et observe ce que tu pensais être un accomplissement, la réalisation d'un idéal qui ne se révèle que pitoyable emprisonnement. Un regard et tu ne regrettes rien. Tu retournes à la voiture et pars en direction des montagnes, ton pied pressant l'accélérateur plus que de raison, mais que risques-tu ? Une amende? Tout ceci n'aura bientôt plus aucun sens.

 

 L'aube est déjà là, avec sa lumière rosâtre et son écœurante douceur. Les pics se profilent à l'horizon, découpant l'éclairage du soleil d'une bien singulière manière, agressive et nette. Le petit sentier caché entre les arbres meurtrit la suspension de ta voiture, malmenant ta conduite qui reste cependant déterminée. Le chemin s'arrête, ta voiture aussi. Toute ta vie t'aura finalement mené sur ce bout de chemin, pas à pas, tu seras arrivé péniblement et aveuglément sur ce ridicule passage. Tu attrapes le jerrycan sur le siège ainsi que ton sac minuscule contenant quelques vêtements et des vivres et sors de l'habitacle. Hissant ton sac sur tes épaules, tu vides le jerrycan dans ta voiture, aspergeant généreusement les sièges et tapis, imbibant chaque fibre avec grand soin. Le jerrycan a retrouvé sa place dans le coffre, le soufre envahit tes narines, une autre odeur délicieuse mêlée à celle de l’essence, tes sens sont comblés au-delà de tes espérances. Tu lances l’allumette vers ta voiture, la scène se déroule au ralenti sous tes yeux subjugués, tu vois chaque tour qu’elle réalise avant d’embraser ta voiture comme un fétu de paille. La vague de chaleur t’agresse mais tu ne cilles pas, restant épanoui et ébahi devant ce spectacle magnifique, admirant chaque dégradé de jaune et de rouge, se mélangeant, créant des infinités de variations sublimes. Tu observes les paillettes qui montent, qui crépitent, dansant avec les volutes de fumée, s’éloignant doucement du sol pour s’évanouir dans l’atmosphère. L’instant a quelque chose de magique et tu sens la cassure en toi, tes chaînes se brisent et s’envolent à leur tour. Tu restes assis à contempler le bûcher, le bûcher de tes fautes, de tes erreurs… Les flammes lèchent et détruisent tout, effaçant ta mémoire, te rendant une page vierge.

Ce spectacle achevé, tu te redresses, les muscles ankylosés après une si longue immobilité. L’odeur du feu a investi tes habits et fait désormais partie de toi. Jamais tu n’oublieras ce matin sur la montagne, où tu as abandonné ton passé et dis adieu à tout ce qui t’entravait depuis trop d’années. Le soleil est monté dans le ciel, tu ne t’en étais pas rendu compte, tout absorbé dans ta contemplation. Tu regardes une dernière fois derrière toi et pars à la conquête d’une nouvelle existence, peut-être plus épanouissante. Et tu marches, toi qui n’as jamais fait beaucoup de sport, tu marches. Tu ne sais pas où, ni jusque quand, mais chaque pas est une délivrance et tu découvres ce qui t’entoures avec un nouveau regard, un regard d’enfant avide d’apprendre, de comprendre. Tu es enfin ouvert au monde.

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Commentaires
T
Tu trouves que mon franc parler est trop discret, mais me reproche un manque de subtilité, je n'ai pas saisi?<br /> La narration en "tu" n'est pas du tout mon style préféré (je hais ça en fait xD, comme Damien, je ne supporte pas qu'un livre me tutoie) mais dans ce texte, ça ne m'avait pas choqué. POur info, tu avais le choix entre 8 débuts de nouvelles, et tu devais la continuer puis la finir. Donc voilà, j'ai pris celle-là. <br /> Pour répondre à Damien le fataliste, je ne pense pas du tout qu'il finira comme ça, ni en anarchiste profond comme Julien le pense. J'ai dit qu'il recommençait à zéro, pas qu'il allait devenir sdf.<br /> Voilà =) merci beaucoup pour vos critiques, surtout Ju, de ton oeil d'écrivain ^^
D
"La nature est hostile et l'hiver approche. Seul sous un pont, tu regrettes ta pauvre voiture qui ne t'avait rien fait. La froid ne cesse de mordre et finit par avoir raison de toi."<br /> <br /> Voilà comment j'imagine la fin x)<br /> <br /> Sinon c'est un très beau texte, j'ai apprécié ^^<br /> Le "tu" ne me choque pas, ne me sentant pas concerné (je ne supporte pas les auteurs qui me tutoie tout au long d'un livre, un peu de respect, merde ! xD )
J
j'aime le style pour le fond le fond; même si je trouve que ça manque un peu d'amertume et d'acidité. peu-être un franc parler trop discret,le manque de subtilité et le discourt trop direct : notamment l'emploie du "tu". en revanche, j'aime la tournure surprenante et poétique des images. quelques répétitions sans doute dut à une affection particulière pour certains mots.<br /> je suis d'ordinaire un critique extrêmement sévère, mais ton texte m'a touché et a induit en moi une envie, d'écriture.<br /> <br /> pour le reste, les alternatives existe, renseigne toi du coté des anarchistes sérieux, des squattes de punks et autres modes de vies autonomes. cela ne correspond pas forcement a ce que l'on recherche et le pas a faire vers ses extrémistes et extrêmement dure, et les AUTRES ne t'y aide pas. néanmoins, cela à le mérite d'élargir la vision du monde et c'est déjà monumental.<br /> <br /> je te souhaite bon vent et prend soins de toi.
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